Chapitre 46

 

Kahlan plongea dans un abîme d’obscurité désolée qui la priva de toute notion du temps et de l’espace. Perdue pour le monde, elle dérivait dans un néant où plus rien ne comptait. Une forme de non-être qui la déchargerait à tout jamais des fardeaux qui pesaient sur sa vie.

Alors qu’elle s’enfonçait de plus en plus, elle sentit, ou vit, ou imagina, qu’il lui restait un espoir minuscule de s’arracher à ce lieu qui n’en était pas un. S’accrochant à cette lueur dans la nuit comme à un rocher au milieu de rapides, elle tenta, pouce après pouce, de remonter à la surface. Ce combat désespéré ramena des sensations dans son corps.

Elle émergea à demi du néant, la tête douloureuse et le corps engourdi, tentant de comprendre ce qu’il lui arrivait. Quelqu’un l’appelait. Plusieurs voix… « Mère Inquisitrice ! » criaient-elles.

Très bien. Mais ce n’était pas son nom…

Soudain, cela lui revint. Elle s’appelait Kahlan. Et des mains la secouaient.

Alors, elle revint d’un voyage qui n’aurait pas dû avoir de fin. Dès qu’elle ouvrit les yeux, le monde tourna follement autour d’elle. Dans un semi- brouillard, elle reconnut le capitaine Ryan. C’était lui qui tentait de la réveiller.

Elle inspira une grande goulée d’air glacé et se dégagea de son étreinte. Aussitôt, elle dut s’appuyer sur les mains pour ne pas retomber.

L’officier semblait très inquiet. À ses côtés, Tossidin n’en menait pas large non plus.

— Mère Inquisitrice, vous allez bien ?

— Je… je… Ma tête… Quelle heure est-il ?

— L’aube approche. Nous sommes venus vous réveiller, selon vos ordres. Les hommes repasseront bientôt à l’attaque.

— Laissez-moi quelques minutes pour me préparer, et…

La jeune femme se souvint de sa décision : aller en Aydindril, contacter Zedd, aider Richard à réparer le voile…

— Mère Inquisitrice, vous n’avez pas l’air bien du tout… Il vous faut encore du repos. Ces quelques heures de sommeil n’ont pas suffi.

Ryan avait raison. Si son pouvoir était revenu, elle ne pouvait pas prétendre être en pleine forme.

— Capitaine, je dois gagner Aydindril, et…

— D’abord, reposez-vous ! Vous n’êtes pas en état de voyager. Restez ici. À notre retour, vous serez rétablie, et vous pourrez partir.

— D’accord… Mais il faudra que je m’en aille, vous savez. C’est très important. (Elle regarda autour d’elle et ne vit que Tossidin.) Où sont Chandalen et Prindin ?

— Mon frère est allé s’occuper des sentinelles, répondit l’Homme d’Adobe, pour que la prochaine attaque prenne aussi l’ennemi par surprise.

— Chandalen est avec les piquiers, ajouta Ryan. Nous devons aller le retrouver pour lancer l’assaut.

— Tossidin, fit Kahlan en tâtant sa lèvre tuméfiée, dis à Chandalen que nous partirons aussitôt après le combat. Soyez prudents, tous les trois. J’ai toujours besoin d’une escorte… (Incapable de garder les yeux ouverts, elle avait à peine la force de parler.) En vous attendant, je me reposerai.

Ryan eut l’air soulagé qu’elle reste en sécurité.

— Quelques hommes monteront la garde pendant que vous dormirez…

— Inutile, je ne risque rien, ici…

— Une dizaine d’épées en moins ne changeront rien pour nous. Et si je ne m’inquiète pas pour vous, je serai beaucoup plus efficace.

— Comme vous voudrez…, capitula Kahlan, hors d’état de polémiquer.

Elle se rallongea. Le front plissé d’inquiétude, Tossidin la recouvrit.

Dès que les deux hommes furent sortis, elle retomba dans l’obscurité étouffante. Malgré ses efforts pour lui échapper, elle replongea, comme aspirée par des sables mouvants. Un instant, la panique la submergea.

Elle tenta de penser, sans parvenir à formuler une idée cohérente. Quelque chose clochait dans tout ça, mais la solution se dérobait à elle, insaisissable.

S’accrochant à l’idée que Richard avait besoin d’aide, elle réussit pourtant à ne pas sombrer dans un néant absolu.

Consciente du passage du temps – à un rythme sans doute atrocement étiré – elle surnagea en gardant sans cesse l’image de Richard à l’esprit.

De nouveau, cette lueur dans la nuit l’aida à remonter à la surface. Avec un cri étouffé, elle se réveilla, la tête douloureuse comme si elle allait exploser. Tout son corps lui faisait mal, pouce de chair après pouce de chair. Se relevant péniblement, elle constata que la bougie était presque consumée. Aucun bruit ne montait à ses oreilles…

Un peu d’air frais la remettrait d’aplomb, décida-t-elle. Les membres lourds et engourdis, elle sortit de l’abri. Dehors, la nuit tombait et les premières étoiles scintillaient au firmament. Quand elle expira, un nuage de vapeur blanche se forma devant sa bouche.

Kahlan fit un pas, trébucha sur quelque chose et s’étala dans la neige. La joue contre le sol, elle rouvrit les yeux et les plongea dans un regard vitreux, à quelques pouces d’elle. Un jeune soldat gisait près d’elle – mort. Apparemment, elle s’était pris les pieds dans sa jambe…

La gorge du cadavre était ouverte, son cou quasiment coupé en deux permettant à sa tête d’adopter un angle impossible. Apercevant la trachée-artère sectionnée, Kahlan sentit de la bile lui monter dans la bouche. Elle la ravala péniblement.

Puis elle leva la tête et aperçut d’autres cadavres. Tous des Galeiens, qui n’avaient même pas eu le temps de dégainer leurs épées. Exécutés sans avoir une chance de se défendre.

L’Inquisitrice aurait voulu fuir à toutes jambes, mais elle se força à ne pas bouger et à réfléchir, malgré la brume du demi-sommeil qu’elle ne parvenait pas à dissiper.

L’assassin de ces hommes pouvait être encore là ! Si son cerveau refusait de fonctionner, elle était fichue.

Tendant la main, elle toucha celle du cadavre. Encore chaude… Le massacre était récent. Était-ce cela qui l’avait réveillée ?

Elle sonda la pénombre, entre les arbres. Des silhouettes se déplaçaient sans prendre la peine de se dissimuler. Riant et braillant, elles approchèrent assez pour que l’Inquisitrice les identifie : une dizaine de D’Harans et deux Keltiens. Des bouchers de l’Ordre Impérial.

Kahlan se releva d’un bond.

L’homme le plus proche avait tout le côté gauche du visage boursouflé là où le sabot de Nick l’avait frappé. Des points grossiers tenaient ensemble les lèvres de la plaie.

Le général Riggs sourit avec la moitié de bouche qui lui restait.

— Je te retrouve enfin, Mère Inquisitrice ! cracha-t-il.

Comme ses ennemis, Kahlan sursauta quand une silhouette noire jaillit des broussailles en hurlant. Alors que les hommes se tournaient pour l’affronter, elle fila en sens inverse.

Avant de se retourner, elle avait vu le tranchant d’une hache de guerre abattre deux D’Harans d’un seul coup.

Orsk ! Il devait s’être lancé à sa recherche, afin de la protéger. Une fois touché par une Inquisitrice, un homme ne renonçait jamais à la défendre.

Les jambes toujours engourdies, comme si elle avait dormi dans une mauvaise position, Kahlan s’éloigna aussi vite qu’elle le pouvait. Derrière elle, Orsk hurlait comme un possédé en affrontant les soudards qui osaient s’en prendre à sa maîtresse.

Mais un homme au moins la poursuivait déjà, et il lui était impossible d’accélérer le pas.

Le type plongea et lui faucha les jambes. Le souffle coupé par la chute, Kahlan se débattit sans parvenir à l’empêcher de la ceinturer, puis de la saisir par les cheveux.

Pour la dissuader de se débattre, il lui flanqua un coup de genou dans les côtes.

Puis il la retourna, se campa sur elle et la gifla.

Riggs ! C’était le général !

— Je te tiens, Inquisitrice ! Cette fois, tu ne m’échapperas pas !

L’abominable crétin ! Il était seul… Comment pensait-il s’en sortir ?

Kahlan lui plaqua une main sur la poitrine, stupéfaite qu’un homme seul puisse se croire capable de venir à bout d’une Inquisitrice.

— Tu es fichu, Riggs, parvint-elle à souffler malgré le poids de l’homme qui lui comprimait la poitrine. Tu as perdu, et tu vas m’appartenir.

— Ça m’étonnerait, salope ! Il m’a dit que tu serais incapable d’utiliser ton foutu pouvoir !

Riggs souleva la tête de sa proie et la cogna contre le sol. Sonnée, Kahlan tenta de se concentrer sur ce qu’il lui restait à faire. Le général la tira de nouveau par les cheveux, prêt à recommencer…

Aussi désorientée qu’elle fût par ce qu’il venait de dire, il lui fallait agir tout de suite, avant qu’il l’assomme.

Kahlan libéra son pouvoir.

Dès que le tonnerre silencieux fit vibrer l’air, Riggs la lâcha et secoua la tête comme s’il venait de recevoir un bon direct.

— Maîtresse, cria-t-il, ordonne et je t’obéirai !

— Qui t’a dit que mon pouvoir serait sans effet ?

— Maîtresse, c’était…

La pointe d’une flèche jaillit de la gorge du général et s’immobilisa à un pouce de celle de Kahlan. Du sang coulant de sa bouche, l’homme bascula en avant.

Une main le saisit par l’épaule et l’écarta avant qu’il s’écroule sur Kahlan.

Orsk ? se demanda la jeune femme.

Mais ce n’était pas lui…

— Mère Inquisitrice, ça va ? C’est moi, Prindin. Tu n’es pas blessée ?

Il finit d’écarter le cadavre et tendit un bras à Kahlan pour l’aider à se relever – non sans laisser errer son regard sur sa silhouette, ce qui la dérangea un peu.

Elle ne prit pas sa main. Recourir à son pouvoir l’avait vidée de ses dernières forces.

Souriant de toutes ses dents, Prindin remit son arc à l’épaule.

— Je vois que tu n’es pas blessée… Tu as l’air… parfaite.

— Le tuer était inutile. J’en avais fait ma marionnette, et il allait me révéler qui…

Kahlan se tut, glacée d’appréhension par le regard étrange de l’Homme d’Adobe. Y lisait-elle vraiment du désir ?

— Maîtresse ! cria Orsk en courant vers eux. Tu vas bien ?

D’autres hommes marchaient dans les broussailles, derrière le borgne. Kahlan reconnut la voix de Chandalen.

Prindin encocha une flèche et Orsk leva sa hache.

— Prindin, ne le tue pas ! (Le chasseur visa.) Orsk, va-t’en !

Le colosse obéit, comme il se devait. Prindin tira.

Il y eut un bruit sec. Le borgne s’enfonça dans les broussailles en titubant. Puis Kahlan l’entendit s’écrouler.

Elle essaya de se relever, mais retomba, comme si elle n’avait plus de muscles. L’obscurité tentait de nouveau de l’aspirer…

L’Homme d’Adobe se tourna vers elle, sourit et banda son arc.

— Prindin, pourquoi as-tu fait ça ?

— Pour que nous passions un petit moment en tête à tête… (Son sourire s’élargit.) Avant qu’on te décapite.

Prindin ! C’était lui qui avait menti à Riggs, pour qu’il se croie invulnérable. Cet imbécile de général avait en quelque sorte servi de bouclier au traître. Kahlan ayant déchaîné son pouvoir sur lui, elle serait désarmée durant quelques heures.

Elle tenta encore de se relever et échoua lamentablement.

Au milieu des arbres, une voix retentit. C’était Chandalen, à bout de souffle à force d’appeler l’Inquisitrice. Plus loin, Tossidin aussi braillait à tue-tête.

Kahlan voulut leur hurler de se méfier, mais un gémissement pitoyable sortit de ses lèvres.

Le vide l’envahissait…

Était-elle toujours endormie ? Comme dans un cauchemar, elle ne pouvait ni bouger ni parler. Alors…

Non, elle ne rêvait pas !

Prindin se tourna vers les arbres. Les talons enfoncés dans la neige, Kahlan réussit à reculer un peu et ses mains se posèrent sur une grosse branche morte d’érable.

L’Homme d’Adobe se précipita sur elle. Mobilisant toute sa peine, sa douleur et son horreur pour agir, elle leva son arme improvisée et l’abattit sur le traître.

Il esquiva sans effort, lui arracha la branche, la retourna brutalement et lui plaqua une main sur la bouche pour qu’elle ne puisse pas prévenir Chandalen. Malgré sa petite taille, Prindin était très fort. De toute façon, dans son état, un enfant aurait eu raison de Kahlan.

Chandalen apparut, un couteau au poing. Désespérée, l’Inquisitrice mordit la main de Prindin. Insensible à la souffrance, il se retourna et frappa le chasseur à la tête avec la branche.

Le pauvre Chandalen vola dans les airs et s’écroula contre le tronc d’un sapin.

— Prindin, que se passe-t-il ? cria Tossidin en déboulant à son tour dans la clairière.

Il s’immobilisa, regarda Chandalen, sonné, puis jeta un coup d’œil interloqué à son frère.

— Chandalen a essayé de nous tuer ! dit Prindin dans leur langue natale. Quand je suis arrivé, il s’en prenait à la Mère Inquisitrice. Viens m’aider, elle est blessée !

— Non… Tossidin… non…, parvint à gémir Kahlan. Mais l’Homme d’Adobe accourut.

 Quel est le problème dont Chandalen m’a parlé ? Qu’est-ce qui cloche avec toi, mon frère ? Et qu’as-tu fait ?

 Aide-moi ! La Mère Inquisitrice est blessée !

Tossidin saisit son frère par l’épaule et le força à se retourner.

 Mon frère, qu’as-tu fait ?

Prindin enfonça un couteau dans la poitrine de Tossidin, qui écarquilla les yeux de surprise. Il ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Le cœur transpercé, le chasseur s’écroula dans la neige.

À cet instant, Chandalen gémit, se rassit et tâta son crâne ouvert. Sans le quitter des yeux, Prindin sortit une petite boîte en os de sa poche de poitrine et l’ouvrit. Elle était pleine de bandu ! Le traître avait une réserve secrète…

Incapable de l’en empêcher, Kahlan le vit tirer une flèche de son carquois et enduire la pointe de poison.

Chandalen se prit la tête à deux mains pour essayer de retrouver ses esprits.

Prindin encocha la flèche, banda son arc et visa. Sachant qu’il voulait toucher sa cible à la gorge, Kahlan parvint à se jeter dans ses jambes au moment où il tirait. Bien que dévié, le projectile se planta dans l’épaule de Chandalen.

D’un coup de poing, Prindin envoya la jeune femme bouler au loin. La terreur lui rendant un peu de force, l’Inquisitrice rampa dans la neige pour fuir le plus loin possible du tueur.

Prindin tira une nouvelle flèche de son carquois et l’enduisit de poison. Impassible, il regarda Kahlan comme il avait dévisagé Chandalen avant de le tuer.

Terrorisée, elle parvint à se relever et commença à courir.

Une flèche se planta dans sa cuisse gauche, l’envoyant de nouveau rouler dans la neige. Aussitôt, un picotement désagréable se répandit dans tout le muscle. La douleur remonta en un éclair jusqu’à sa hanche.

Prindin approcha, saisit la hampe de la flèche, posa une main sur les reins de Kahlan pour prendre appui, et arracha le projectile.

Le picotement du poison, suivant la douleur, remontait déjà le long de la cuisse de l’Inquisitrice.

 Ne t’inquiète pas, dit Prindin. J’ai mis moins de bandu que pour Chandalen. Je veux seulement que tu te tiennes tranquille. Lui, il mourra dans quelques minutes. Toi, tu dois vivre pour qu’on te décapite. (Il lui caressa les fesses.) Tu seras bien vivante, s’ils n’attendent pas trop longtemps. Mais il fait trop froid, ici. Rentrons dans ton abri.

Il saisit Kahlan par les poignets et la tira dans la neige. Tétanisée par le poison, qui remontait à présent jusqu’à ses côtes, elle se laissa faire comme une poupée de chiffon.

Des larmes ruisselèrent sur ses joues. Orsk… Tossidin… Chandalen… Comment Prindin avait-il pu faire une chose pareille ? Tuer son propre frère sans frémir. Quel être humain avait aussi peu de…

Un messager du fléau !

Cette révélation lui arracha un petit cri. Elle n’avait jamais cru à l’existence de ces « agents », même si les sorciers assuraient qu’ils existaient. Mais ils avaient tendance à exagérer, comme elle s’en était aperçue à d’autres occasions. Et les superstitions liées au Gardien ne manquaient pas dans les Contrées…

À présent, elle n’avait plus aucun doute. Un messager du fléau la tenait en son pouvoir. Comment avait-il pu se dissimuler aussi longtemps ? Il l’avait aidée, choyée, enveloppée d’amitié…

Afin d’être près d’elle et de servir le Gardien ! Prindin était un messager du fléau et Darken Rahl avait ri à cause de sa stupidité et de son aveuglement !

Désormais, elle ne pouvait plus douter que le voile était déchiré. Darken Rahl lui avait dit qu’une éternité de tourments l’attendait. Il était venu pour finir de déchirer le voile ! Pendant tout ce temps, Kahlan avait cru agir librement et prendre les bonnes décisions. Mais Rahl et le Gardien, à travers les yeux de Prindin, avaient suivi chacun de ses gestes.

Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de frapper ? Cette guerre, tous ces morts, pour en arriver là ?

Soudain, l’Inquisitrice comprit. Le Gardien régnait sur les défunts. Chaque soldat tombé lors des combats avait servi son plan ultime : lâcher des hordes de morts dans le monde des vivants qu’il détestait tant.

Voir mourir des êtres le ravissait. Pourquoi aurait-il gâché cette magnifique occasion ? Une guerre, entre deux camps décidés à ne pas faire de quartier…

Quand Prindin la tira sans ménagements au-dessus d’une souche, Kahlan eut l’impression que ses bras allaient se détacher de son corps. Le poison, à présent, envahissait sa poitrine.

Elle ne sentait plus sa jambe gauche. Au moins, ça lui épargnait la douleur de la flèche. La pointe avait touché l’os et Prindin s’était passé de précautions quand il l’avait arrachée.

Quand ils atteignirent l’abri, Kahlan vit les corps des gardes galeiens, plus ceux des D’Harans qu’Orsk avait massacrés. Bientôt, quand Prindin en aurait terminé avec elle, il la livrerait à l’Ordre Impérial, et on la décapiterait. Tout serait fini, et elle était impuissante à dévier le cours des choses.

Elle ne reverrait plus jamais Richard, qui ignorerait jusqu’à son dernier souffle à quel point elle l’aimait.

Prindin la poussa dans l’abri et la jeta sur le matelas de branches. Puis il alluma deux bougies.

— Je tiens à te voir, expliqua-t-il avec un sourire lubrique. Tu es rudement jolie, et je ne veux pas en rater une miette.

Kahlan avait toujours aimé son sourire. C’était fini, à présent.

Prindin enleva son manteau et le jeta dans un coin.

 Déshabille-toi, femme ! Je veux te regarder, pour que ta vue m’excite.

Même s’il lui avait plaqué un couteau sur la gorge, l’Inquisitrice n’aurait pas pu obéir, car ses bras refusaient de bouger.

— Prindin, parvint-elle à dire, les soldats seront bientôt de retour et ils te captureront.

 Ça m’étonnerait, avec la petite surprise que je leur ai préparée… Crois-moi, le combat n’aura rien à voir avec ce qu’ils attendaient. Ils ne reviendront pas de sitôt, s’ils se remontrent un jour… Femme, je t’ai dit de te déshabiller !

— Prindin, tu es mon ami. Je t’en prie, ne fais pas ça…

Il se pencha sur elle et saisit sa ceinture.

 Bon, je vais m’en charger moi-même…

— Prindin, pourquoi ? gémit Kahlan, désespérée par le plongeon d’un brave homme dans la folie… et entre les mains du Gardien.

Il se releva, comme surpris par la question.

 Le grand esprit a dit que je pourrais t’avoir avant que ton âme soit attirée dans le royaume des morts. Une récompense pour mon excellent travail… Le grand esprit est content que je t’aie livrée à lui.

Sur son cou, le baiser-morsure de Darken Rahl fit trembler Kahlan de douleur. Chandalen et Tossidin étaient morts, et elle les rejoindrait bientôt. Le poison se répandait déjà dans ses épaules, attaquant la naissance de sa gorge.

Prindin se pencha sur elle, l’écrasa de tout son poids et posa ses lèvres là où Darken Rahl avait imprimé les siennes.

 Prindin, je t’en supplie, laisse-moi partir après… quand tu auras eu ce que tu voulais…

Le messager du fléau releva la tête et regarda sa proie dans les yeux.

 Te libérer ne m’apporterait rien de bon… De plus, tu as été empoisonnée par le thé, puis par la flèche. Mère Inquisitrice, tu n’en as plus pour très longtemps. J’espère qu’on te décapitera avant que le bandu te tue. Ce serait une mort plus agréable. C’est ma façon d’avoir pitié de toi…

Prindin se baissa de nouveau et l’embrassa dans le cou.

— Je te hais…, souffla Kahlan dans la langue du Peuple d’Adobe. Et ton grand esprit aussi.

Il se releva, les poings sur les hanches, et la toisa, le regard brillant de haine.

 Tu dois être à moi ! On me la promis. Pour ça, je me suis assuré que tu sois privée de ton pouvoir. Si tu ne te donnes pas à moi, je te prendrai de force. Tu as infecté mon peuple avec ta maudite magie et tes coutumes impies. Tu es un démon, et je te posséderai, pour m’approprier ta perversité. Le grand esprit a dit qu’il devait en être ainsi !

Prindin enleva sa tunique en peau de daim… puis il se laissa tomber sur Kahlan en grognant, son visage à quelques pouces du sien.

Ils se regardèrent, aussi surpris l’un que l’autre par ce qui se passa alors.

Prindin ne comprit pas ce qui lui arrivait. Kahlan saisit, mais sans savoir comment c’était possible.

Elle sentit un liquide chaud ruisseler sur ses bras.

Les yeux écarquillés, Prindin toussa et cracha du sang au visage de l’Inquisitrice. Puis il rendit son dernier soupir et ne bougea plus.

Des larmes montèrent aux yeux de Kahlan. Elle n’avait plus la force de le pousser et son poids l’empêchait de respirer.

Elle resta ainsi, inondée du sang de l’homme qui l’avait trahie.

Le picotement du poison venait d’atteindre son cou.

La pierre des larmes - Tome 2
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